Dossier RÉFORME droit de la famille

L’affaire Éric. c. Lola. Le 23 janvier 2013, la Cour suprême du Canada rendait son jugement dans la célèbre cause connue du grand public sous le nom de Éric c. Lola. À cinq juges contre quatre, le plus haut tribunal du pays confirmait la validité constitutionnelle de la politique législative du Québec en matière conjugale. Vieille de 30 ans, cette politique réserve encore et toujours les droits et obligations du Code civil aux seuls conjoints mariés ou unis civilement, les conjoints de fait ne pouvant pour leur part en revendiquer directement l’application dans leurs rapports mutuels, qu’ils aient ou non des enfants communs.

Au-delà des conclusions retenues par la Cour suprême, le débat judiciaire entourant l’affaire Éric c. Lola aura permis de mettre en lumière l’évolution des réalités conjugales et familiales qu’a connue le Québec au cours des dernières décennies. Alors qu’autrefois, le mariage entre un homme et une femme constituait la seule et unique manière de fonder une famille, force est de reconnaître la diversité des modèles conjugaux et familiaux qui cohabitent aujourd’hui. Outre l’union libre qui fait maintenant concurrence au mariage, la question familiale se conjugue désormais au pluriel. Familles monoparentales, recomposées, homoparentales ou transparentales, voilà autant de réalités qui, loin de s’inscrire dans la norme au tournant des années 80, ont depuis acquis leur pleine légitimité sociale et juridique.

Le rapport Roy. À la suite du jugement de la Cour suprême, plusieurs acteurs sociaux ont donc interpelé le gouvernement du Québec pour le sensibiliser à l’importance d’une réflexion globale sur les enjeux juridiques que soulèvent les nouvelles réalités conjugales et familiales. Le ministre de la Justice de l’époque, Me Bertrand St-Arnaud, a entendu ces nombreuses voix en créant, le 19 avril 2013, le Comité consultatif sur le droit de la famille (CCDF) dont il m’a confié la présidence. Composé de dix experts provenant à la fois du milieu juridique et du domaine des sciences sociales, le CCDF s’est vu attribuer l’importante responsabilité de proposer une réforme globale du droit de la famille, tant dans ses dimensions conjugales que parentales. Comptant 82 recommandations portant sur des sujets aussi variés que le mariage, l’union civile, l’union de fait, la filiation, la parentalité, la procréation assistée et la maternité de substitution, le rapport final du CCDF (communément appelé « rapport Roy ») a été remis à la ministre de la Justice Stéphanie Vallée le 8 juin 2015. Reconnaissant la « qualité exceptionnelle » et la « rigueur intellectuelle » du travail accompli, la ministre s’est engagée à y donner suite dans les plus brefs délais. Cet engagement ne s’est malheureusement pas concrétisé, le gouvernement libéral n’ayant posé aucun geste témoignant d’une quelconque volonté de revoir les fondements du droit de la famille à la lumière des nouvelles réalités sociales.

La Commission citoyenne sur le droit de la famille. C’est cette inaction gouvernementale qui a incité la Chambre des notaires du Québec à constituer la Commission citoyenne sur le droit de la famille au printemps 2018. Se sentant directement interpelée par le droit de la famille en raison du rôle de conseiller juridique de proximité qu’assument les notaires auprès des familles, la Chambre des notaires s’est elle-même chargée de mettre en place cette structure de consultation publique, au profit des couples, des parents, des enfants, des organismes qui œuvrent auprès d’eux et, plus généralement, de tous les acteurs intéressés par le sujet. La pertinence d’une telle initiative ne fait aucun doute : dans tout processus de réforme majeure, le portrait des enjeux et la réponse qu’on doit y apporter ne peuvent être laissés aux seuls soins des experts. Après le travail de réflexion théorique accompli par le CCDF, il convenait donc de consulter la population pour connaître ses besoins, ses préoccupations et ses priorités en matière familiale.

Composée de cinq commissaires et deux coprésidents (Me Jean-Paul Dutrisac, ex-président de l’Office des professions du Québec et moi-même), la Commission s’est rendue aux quatre coins du Québec. Au total, 150 personnes et organismes ont comparu devant elle et plus de 50 mémoires et notes lui ont été remis. Les échanges intervenus entre les membres de la Commission et les personnes et organismes qui lui ont communiqué leurs préoccupations sont d’une très grande richesse. Ils permettent non seulement de prendre la mesure du fossé qui sépare les couples et parents des règles qui forment le droit substantiel de la famille, mais également des limites ou des carences institutionnelles qui affectent le système de justice en matière familiale. Le rapport final de la Commission a été rendu public le 11 septembre 2018.

La campagne électorale 2018. Profitant du momentum de la campagne électorale 2018 pour ramener la question de la réforme du droit de la famille à l’avant-scène politique, la Faculté de droit de l’Université de Montréal et la Chambre des notaires ont conjointement organisé, le 27 septembre 2018, un débat entre les représentants des quatre principaux partis politiques (Me Simon Jolin-Barrette, Coalition Avenir Québec; Me Véronique Hivon, Parti Québécois; Me Marc Tanguay; Parti Libéral du Québec et Mme Ève Torrès, Québec Solidaire). Plusieurs des recommandations du rapport Roy ont été discutées, notamment celle visant à faire de l’enfant la nouvelle porte d’entrée du droit de la famille. Au terme de l’exercice, toutes et tous les candidat-e-s ont clairement reconnu la nécessité d’une réforme globale du droit de la famille québécois et l’urgence d’agir.

Le comité de vigilance. C’est à l’occasion du débat du 27 septembre que j’ai annoncé, en allocution de fermeture, la création d’un comité de vigilance dont la mission sera de veiller à ce que le dossier ne replonge pas dans l’ombre après les élections.

Le Comité de vigilance a été constitué le 19 novembre. Il compte huit membres, tous des ex-ministres du gouvernement du Québec (Justice, Famille et Condition féminine) qui, au cours des quatre dernières décennies, ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’avancement du droit de la famille québécois au profit des familles et des enfants :

  • Marc-André BÉDARD. Marc-André Bédard, Ad. E., a été ministre de la Justice de 1976 à 1984 et vice-Premier ministre de 1984 à 1985. Il est le père de la Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille (L.Q. 1980, c. 89) aux termes de laquelle ont été introduits les principes fondamentaux de l’égalité des époux et des filiations, de même que le régime primaire établissant les mesures de protection de la résidence familiale et la prestation compensatoire;
  • Monique GAGNON-TREMBLAY. Monique Gagnon-Tremblay a été notamment ministre déléguée à la Condition féminine et responsable des Services de garde de 1985 à 1989 et Chef de l’opposition officielle en 1998. Elle a également été vice-Première ministre en 1994 et de 2003 à 2005. On lui doit, avec son collègue Herbert Marx, l’adoption de la loi ayant institué, en 1989, le patrimoine familial dans le but de favoriser l’égalité économique des époux;
  • Herbert MARX. Herbert Marx a été notamment ministre de la Justice de 1985 à 1988. On lui doit, avec sa collègue Monique Gagnon-Tremblay, l’adoption de la loi ayant institué, en 1989, le patrimoine familial dans le but de favoriser l’égalité économique des époux. C’est également à lui que l’on doit l’idée d’adopter d’un seul bloc l’ensemble des livres du Code civil du Québec (autres que le livre sur la Famille, en vigueur depuis le début des années 80);
  • Louise HAREL.  Louise Harel a été notamment ministre responsable de la Condition féminine de 1996 à 1998. Elle fut la première femme à occuper la présidence de l’Assemblée nationale de 2002 à 2003. Elle est à l’origine du modèle de fixation automatique des pensions alimentaires pour enfants qui a notamment permis de rehausser le montant des aliments dus aux enfants. À titre d’élue, elle a été de tous les combats pour l’avancement du droit des conjoints de fait;
  • Paul BÉGIN. Paul Bégin a été notamment ministre de la Justice de 1994 à 1997 et de 2001 à 2002. Il est le parrain de la loi ayant introduit en 1997 la médiation préalable obligatoire en matière familiale. Il est également le père de la loi ayant institué en 2002 l’union civile au profit des conjoints de même sexe (soit trois ans avant que le Parlement fédéral n’autorise le mariage gai) et consacré l’avènement de la filiation homoparentale;
  • Serge MÉNARD. Serge Ménard, Ad. E., a été notamment ministre de la Justice de 1997 à 1998. Il est à l’origine de la loi historique de 1999 ayant révisé l’ensemble de la législation publique aux fins de reconnaître aux conjoints de fait de même sexe les mêmes droits sociaux et fiscaux que les conjoints de fait hétérosexuels (soit un an avant que le Parlement fédéral ne procède au même élargissement dans ses champs de compétence);
  • Linda GOUPIL. Linda Goupil, Ad. E., avocate familialiste et médiatrice familiale, a été notamment ministre de la Justice de 1998 à 2001, devenant la première femme à occuper cette fonction, ministre responsable de la Condition féminine de 1998 à 2003 et ministre d’État à la Famille, à l’Enfance et aux Aînés de 2001 à 2003. Elle est l’instigatrice du programme de médiation familiale gratuite pour les parents avec enfants à charge instauré en 1997l
  • Nicole LÉGER. Nicole Léger a été notamment ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance de 1998 à 2001 et ministre de la Famille de 2012 à 2014. Pionnière de l’implantation et de la mise en œuvre des Centres à la petite enfance (CPE) et des services de garde, elle a également contribué à la mise en place, en 2013, du CCDF sous la gouverne de son collègue Bertrand St-Arnaud, alors ministre de la Justice (aujourd’hui juge à la Cour du Québec).

Le manifeste. Comme toute première action, les membres du Comité de vigilance ont signé, le 19 novembre 2018, un manifeste demandant au nouveau gouvernement d’enclencher sans délai le processus de réforme du droit de la famille.

Le manifeste a été transmis à la ministre de la Justice Sonia LeBel le jour de sa signature et a été rendu public deux jours plus tard, soit le 21 novembre 2018. Il a fait l’objet d’une couverture médiatique très étendue. À plusieurs reprises, les médias ont souligné le caractère exceptionnel de la démarche à laquelle les ex-ministres ont accepté d’adhérer. Leur sortie publique concertée et non partisane semble avoir marqué les esprits.

La réaction de la ministre de la Justice Sonia LeBel à la diffusion du Manifeste fut très positive; son message porteur d’espoir pour les enfants et les familles du Québec. La réforme, a-t-elle déclaré, doit se faire, et à l’intérieur du premier mandat. À défaut d’être complété, a-t-elle ajouté, le travail devra être suffisamment engagé pour qu’on ne puisse plus reculer.

La Consultation publique sur le droit de la famille. Conformément aux intentions exprimées à l’automne 2018, la ministre de la Justice Sonia LeBel a annoncé, le 15 mars 2019, la tenue d’une vaste consultation publique sur la parentalité et la conjugalité. La consultation, a-t-elle affirmé, s’appuiera sur les recommandations proposées par le Comité consultatif sur le droit de la famille qui serviront de base à la réflexion du gouvernement. C’est dans cette perspective qu’on a sollicité mon intervention pour agir à titre d’expert-conseil auprès de la ministre et de son adjoint-parlementaire Mathieu Lévesque. La consultation s’est déroulée du 28 avril et le 3 juin dans plusieurs villes du Québec

Le Projet de loi n° 2 – Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil. Nommé ministre de la Justice en juin 2020, Simon Jolin-Barrette a amorcé le travail législatif à proprement parler dès l’automne suivant et m’a demandé de l’accompagner à titre de conseiller spécial. Consacré à la filiation et à l’autorité parentale, un premier projet de loi, le Projet de loi n° 2, a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 21 octobre 2021. La commission des institutions a tenu des audiences publiques du 30 novembre au 3 décembre suivant. Elle a procédé à l’étude article par article du projet de loi au cours des mois de mai et juin 2022. Faute de temps, la commission a convenu de retrancher du projet de loi les dispositions qui n’avaient pu être étudiées, dont celles visant à reconnaître et à encadrer la gestation pour autrui. Ainsi amputé, le Projet de loi n° 2 a été adopté par l’Assemblée nationale le 7 juin suivant, et sanctionné le lendemain.

Ce contenu a été mis à jour le 21 septembre 2022 à 12 h 32 min.